Faut-il nationaliser les banques ?
Où en est aujourd'hui le système bancaire français ? Les banques font la queue au guichet de l’État pour lever des capitaux frais, mais elles prétendent qu’elles sont correctement capitalisées. Cet apport de l’État est nécessaire à leurs yeux pour maintenir un rythme soutenu d’octroi de crédits nouveaux, mais elles affirment aussi que leurs encours de crédit n’ont cessé de progresser malgré la crise. Alors que les acteurs économiques, ménages et entreprises, dénoncent l’attrition du crédit et que le médiateur, M. Ricol, menace de dénoncer sur la place publique les banques inciviques, ces dernières protestent de leur bonne foi et assurent qu’il n’y a pas de risque de credit crunch en France.
Les banques acceptent certes l’argent de l’État actionnaire mais sans les pouvoirs et les droits attachés à la condition d’actionnaire. Elles ne souhaitent pas que leurs actionnaires actuels soient dilués et que la composition de leurs conseils d’administration soit modifiée. En mettant en place le premier plan de recapitalisation, l’État leur a donné satisfaction.
Enfin les banques tiennent à leur autonomie de gestion, mais elles cèdent à la volonté impérative du pouvoir politique. Elles entendaient maintenir les bonus et distribuer des dividendes jusqu’à ce que l’oukaze présidentiel tombe.
Faut-il recapitaliser les banques et mobiliser l’argent public à cette fin ? Une première tranche de 10,5 milliard d’euros a été allouée suivie ces jours-ci d’une deuxième tranche de 10,5 milliard d’euros et il ne faut pas être grand clerc pour en prévoir une troisième. De quel mal souffrent donc les banques ?
Trois types de situations sont à distinguer. La première est celle de banques qui, telles Dexia ou Natixis, ont vu leur modèle économique échouer et qui ne pourront survivre qu’en s’adossant à des banques plus solides. La seconde concerne des banques qui, telles le Crédit mutuel, le Crédit agricole (calyon), les Caisses d’épargne ou les Banques populaires, sont sorties de leur métier de banque de détail et qui ont fait des pertes majeures sur les marchés. Leur base est solide, mais elles ont détruit du capital et doivent donc le reconstituer. Enfin BNP Paribas et la Société Générale constituent un cas à part : elles continuent à afficher des bénéfices, mais souffrent de la suspicion générale.
BNP Paribas et Société Générale doivent être recapitalisées, non pas pour couvrir des pertes ou pour faire du crédit mais parce que la norme de solidité d’un bilan bancaire a changé : aujourd’hui les marchés exigent un ratio de fonds propres (tier 1) de 9% alors que celui de BNP Paribas est à 7,5. Une augmentation de capital ordinaire, à supposer qu’elle soit possible, diluerait fortement l’actionnariat actuel de ces banques d’où les recours à des quasi-fonds propres fournis par l’État sous forme de dette subordonnée ou d’actions préférentielles. La dette subordonnée coûte cher à l’entreprise en frais financiers (8%), elle n’est pas assimilable à du capital dur (core tier 1) mais elle éloigne la menace de l’État interventionniste. L’action préférentielle est plus satisfaisante du point de vue capitalistique, mais risque de révéler les appétits interventionnistes de l’État. C’est ainsi, par exemple, qu’on entend à nouveau parler d’un rapprochement BNP Paribas-Société Générale initié par l’État. La recapitalisation des banques n’a donc pas le même sens selon les cas, elle est vitale pour les unes, elle obéit à une nouvelle convention de marché pour d’autres, dans tous les cas elle peut annoncer une reconfiguration du système bancaire.
Faut-il incriminer les banques pour une distribution parcimonieuse du crédit ? Depuis septembre 2008 on assiste à un dialogue de sourds entre banquiers affirmant la progression des encours de crédit et chefs d’entreprise se plaignant d’un gel du crédit alors que la banque centrale apporte la liquidité, que l’État recapitalise, débloque le crédit interbancaire et garantit les nouveaux crédits. Il n’y aurait donc pas d’assèchement du crédit en France. Les constats de pénurie de crédits relayés par les professionnels de l’immobilier, les représentants des PME s’expliqueraient davantage par les comportements des consommateurs ou la crise de certains secteurs d’activité que par une volonté délibérée des banques de réduire leur exposition.
L’évidence d’une contraction du crédit est en fait difficilement contestable pour trois raisons. La première tient à la correction par les banques des excès de leur propre endettement. On ne peut pas à la fois leur demander d’assainir leurs bilans et de continuer à prêter comme par le passé. La deuxième tient aux données dont on dispose, notamment aux États-Unis, et qui tendent à montrer que la progression des encours de crédit masque deux phénomènes contradictoires : tirage de lignes de crédit préexistantes et forte décrue des crédits nouveaux. La troisième enfin tient à la raréfaction et au renchérissement de crédits faits aux entreprises dans des secteurs considérés comme à risque : automobile, immobilier/construction, distribution, aéronautique, énergies nouvelles etc. On le voit donc la contradiction ne peut que croître entre objectifs publics de soutien de l’activité et réappréciation du risque par les banques.
Faut-il limiter les bonus et la distribution de dividendes ? L’intrusion de l’État dans la gouvernance et le management des banques à la faveur des plans d’aide au secteur bancaire soulève deux problèmes. Soit les bonus des dirigeants sont indexés sur la performance et en toute logique ils devraient être proches de zéro, compte tenu de la dégradation profonde de la situation des banques en 2008 qui ne pouvait être anticipée au moment de la fixation des objectifs fin 2007. Dans ce cas, l’intervention présidentielle relève du théâtre politique. Soit les dirigeants s’apprêtaient malgré tout à se verser de copieux bonus, et, dans ce cas, les conseils d’administration auraient gravement failli à leur tâche. Le vrai problème est celui des bonus des traders et autres banquiers d’affaires dont on peut estimer qu’il a contribué à des prises de risque excessives. Or curieusement nul n’en parle. Une structure d’incitations perverse qui a fait la preuve de son caractère nocif devrait davantage occuper les esprits. Quant à la distribution des dividendes, les conseils d’administration devraient en décider sur la base de deux paramètres : la fidélisation d’actionnaires qui ont perdu en moyenne les 3/4 de leur capital depuis le début de la crise et le besoin de reconstitution de fonds propres. L’intervention de l’État ôte une fois de plus aux conseils d’administration la possibilité de faire leur métier et d’assumer leurs responsabilités.
Qu’il s’agisse de recapitalisation, de contraction du crédit ou de gouvernance, l’État, garant de l’intérêt général, entre en conflit avec les banques. Ce conflit ne pourra être productif pour l’économie que si chacun assume ses responsabilités. Si l’État estime qu’il faut maintenir ouverts les robinets du crédit pour les secteurs en difficulté ou en risque alors il lui faudra envisager la solution de la nationalisation des banques. Si certaines banques en perte et aux bilans dégradés veulent faire appel à l’argent public, il faut qu’elles acceptent l’entrée de l’État à leur capital voire leur nationalisation. D’autant que la nationalisation pourra permettre la séparation de la « bonne » banque et d’une « mauvaise » banque chargée de liquider les mauvais actifs. Enfin si certaines banques veulent à tout prix maintenir leur indépendance, elles devront payer les concours de l’État à des prix de marché. Au total le problème est plus simple qu’il n’y paraît. BNP Paribas et la Société Générale ne font à elles deux que 15% du marché de la banque de détail en France. Pour peser sur le crédit, l’État dispose d’un vaste champ de manœuvres avec le secteur mutualiste, coopératif ou public.
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