Des élus menacent de poursuivre les banques qui leur ont fait des "prêts toxiques"
LE MONDE | 27.10.09"Les banquiers doivent comprendre qu'il faut nous proposer de vraies solutions, pas seulement des aménagements dilatoires à leurs prêts toxiques." Maurice Vincent, maire (PS) de Saint Etienne, est en colère. Sa ville a été victime de ces prêts qui bénéficient d'un taux d'appel très favorable pendant deux à trois ans, puis évoluent selon des formules complexes qui font peser une lourde hypothèque sur les finances de nombreuses collectivités locales. "Nous sommes, en deux ans, parvenus à réduire de 70 % à 49 % notre exposition à ces risques, poursuit-il, mais sur les emprunts restants le niveau de perte potentielle atteint encore 80 millions d'euros !"
En ligne de mire de M. Vincent : un contrat de couverture de 20 millions d'euros, dit "swap", souscrit auprès de la Deutsche Bank, adossé à la parité entre livre sterling et franc suisse. La période de taux bonifié à 4,3 % s'achève et le nouveaux devrait passer à... 24 % en raison de l'effondrement de la livre. "La Deutsche Bank ne nous fait aucune proposition raisonnable", tempête l'élu.
Autre établissement visé, la Royal Bank of Scotland (RBS) a, elle, vendu à la ville de Saint Etienne ce que l'on appelle un prêt "snow ball" (boule de neige), qui est une vraie bombe à retardement. Enfin, la ville a, auprès de Dexia, un encours de prêt de 90 millions d'euros dont le taux risque de passer à 7 % ou 8 %, en 2010. "Dexia ne se montre pas très flexible", commente M. Vincent, qui a donné à ces trois banques un mois pour lui faire des propositions acceptables. Faute de quoi il les assignera en justice.
Il invoquerait alors un défaut de conseil et de mise en garde à un emprunteur non initié, ainsi qu'une circulaire de 1992 qui interdit aux collectivités locales de souscrire des swaps spéculatifs. En attendant, le maire a dû augmenter les impôts de 7,5 %, dont 2,5 % motivés par la hausse des charges financières. Devant les mêmes difficultés, le maire de Laval, Guillaume Garot (PS), a dû augmenter les impôts de 26 %.
Valérie Fourneyron, maire (PS) de Rouen, ferraille contre Natixis et RBS. Sa ville a accumulé une dette de 162 millions d'euros (soit 1 500 euros par habitant). Natixis a consenti un prêt snow ball de 24 millions qui devrait coûter 10 millions de plus à la commune si elle veut racheter sa dette. "Les négociations sont longues, mais grâce au travail commun avec les élus des autres villes endettées et à la pression que nous exerçons ensemble nous sommes sur le point d'aboutir", se félicite Mme Fourneyron.
Pascal Poupelle, président du comité de direction de Dexia Crédit local, adopte un ton conciliant : "Notre métier est de prêter et d'accompagner sur le long terme les collectivités locales, qui sont nos clients, avec lesquels nous sommes toujours prêts à discuter. Nous sommes certes le premier prêteur, avec près de 40 % de part de marché, mais nous n'avons jamais commercialisé les prêts les plus dangereux."
Le président du conseil général de Seine-Saint-Denis n'est pas de cet avis. "Non seulement les banquiers, Dexia en tête, sont des usuriers, mais ils sont aussi des menteurs, s'insurge Claude Bartolone (PS). S'ils n'ont pas commercialisé de prêts boule de neige, ils proposent des produits adossés à l'évolution des devises, aussi dangereux."
Le 23 octobre, il a mis en demeure Dexia, la Société générale, les Caisses d'épargne, le Crédit agricole et l'allemand Depfa Bank de lui proposer des solutions de sortie de crise. Il les menace, lui aussi, de les poursuivre en justice. Le "9-3" a un stock de dette (capital emprunté) de 834 millions d'euros, en une quarantaine de prêts, dont 97 % de dette structurée plus ou moins dangereuse. Un des prêts consenti par Dexia et indexé sur le franc suisse devrait, à terme, après un taux d'appel de 1,25 %, vite passer à 13,8 %.
Certains contentieux sont déjà arrivés devant les juges. En juillet, la Société anonyme de construction de la Ville de Lyon (SACVL) assignait Calyon, filiale du Crédit agricole, devant le tribunal de commerce de Paris pour lui avoir proposé, fin 2007, des swaps dispendieux (pour 20 millions d'euros), qui lui coûtent désormais 1 million par an et l'ont obligée à provisionner 30 millions d'euros en 2008. La facture pourrait atteindre 120 millions en 2022. Le risque est d'autant plus visible que, contrairement aux collectivités locales, les sociétés d'économie mixte doivent le chiffrer et le provisionner.
Une charte de bonne conduite avait pourtant été élaborée entre associations d'élus et banques, fin mai, sous la houlette de l'inspecteur des finances Eric Gissler. Alors que toutes les parties semblaient d'accord, les ministères des finances et de l'intérieur ne l'ont toujours pas publiée. Bercy n'a pas répondu aux demandes d'explications. Au ministère de l'intérieur, la direction des collectivités locales a opportunément déclaré à l'AFP, lundi, que "le gouvernement est prêt à la signer très rapidement".
Peut-on espérer que les banquiers évoluent ? "Je n'y crois pas", tranche Olivier Nys, directeur financier de la communauté urbaine de Lyon, qui constate que "Dexia propose toujours des produits dangereux en dépit de la charte Gissler, qui est peu contraignante et aisément détournable".
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