12 juillet 2010 (Nouvelle Solidarité) – Le Figaro et toute la presse à la botte fanfaronnent déjà : le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) sur le dossier fiscal de Liliane Bettencourt blanchit Eric Woerth. Sauf que tout le monde sait que le fond du Woerthgate c’est le Sarkogate. Si ce rapport de l’IGF sert d’instrument idéal de propagande à 24 heures de l’intervention télévisée du chef de l’Etat, il ne blanchit pas Sarkozy et son ministre de trésorier des soupçons de financement politique illégal et d’interférences de l’exécutif dans le processus judiciaire. Mais c’est néanmoins le bon moment pour donner un coup de projecteur sur l’Inspection générale des finances, ce corps d’élite au cœur du compromis historique entre l’Etat et les intérêts financiers.
Extrait de la tribune du jour de Daniel Schneidermann dans Libération : « Pour blanchir son prédécesseur, le ministre du Budget demande un rapport à son administration. Un rapport rapide : il devra être rendu avant la fin de semaine. S’agirait-il de n’importe quel pays étranger, le mot populiste "république bananière" viendrait sous la plume de tous les commentateurs. Leurs réserves de lourde ironies seraient inépuisables. On écrirait : "Le pouvoir a commandé un rapport bidon à un apparatchik du ministère." Mais nous sommes chez nous. Sagement les présentateurs attendent donc, au garde-à-vous, "le rapport de l’Inspection générale des finances". » |
Inspection des « finances » ?
L’IGF, c’est le fief que rejoignent les meilleurs élèves de l’ENA : c’est là qu’on se fait le meilleur carnet d’adresses pour se faire débaucher à bon prix par le privé. Pour cela, la sélection est très stricte : il faut être brillant mais connaître aussi les mœurs de la Cour pour éviter de froisser l’ordre établi. Pour juger du dévouement de ce corps, il suffit de regarder le CV de ses membres (liste non-exhaustive) :
- Michel Pébereau, président du Conseil d’administration de BNP-Paribas
- Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE)
- Pascal Lamy, directeur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)
- Frédéric Oudéa, pdg de la Société Générale
- Baudoin Prot, directeur général de BNP-Paribas
- François Pérol, président de Banque Populaire-Caisse d’Epargne
- Philippe Lagayette, pdg de JP Morgan France
- Gilles Denoyel, directeur général délégué d’HSBC France
- Pierre Fleuriot, pdg d’ABN-AMRO France
- François Villeroy de Galhau, pdg de Cetelem
- Jacques Mailloux, conseiller chez Goldman Sachs
- Christian Aubin, conseiller du président de BNP-Paribas
- Bertrand Badré, associé-gérant de Lazard Frères
- Jean-Louis Girodolle, associé-gérant de Lazard Frères
- Robert Daussun, président de LBO France
- Frédéric Lavenir, responsable des Ressources humaines chez BNP-Paribas
- Guillaume Hannezo, associé-gérant de Rotschild & Cie
- Gilles Grapinet, directeur de la stratégie du Crédit Agricole
- Pierre Marini, responsable du pôle Service Financiers chez BNP-Paribas
- Patrick Thourot, directeur général délégué du réassureur Scor
Si cela ne suffit pas, appelons à la barre Jean Zay, ministre de l’Education du Front Populaire, emprisonné et assassiné sous le régime de Vichy. Il écrit depuis sa prison le 17 janvier 1941 :
« Militaires et inspecteurs des Finances jouent les premiers rôles en France depuis six mois. Ce sont eux qui ont préparé et organisé ce qu’on appelle sans grande conviction « la révolution nationale ».
(…)
« Quant à l’inspection des Finances, sa responsabilité dans nos malheurs, pour être tout autre, moins apparente, n’en est pas moins certaine.
« Quand on étudiera les causes de notre impréparation militaire et de la décrépitude du gouvernement parlementaire, il faudra inscrire en bonne place l’orthodoxie financière. De 1932 à 1940 - je parle de ce que j’ai vu -, au milieu de tant de débats désordonnés, il y eut un sujet « tabou » : le libéralisme monétaire et financier ; une discussion interdite : celle du contrôle des changes.
« Vous pouviez librement couvrir de boue le chef de l’Etat et ses ministres, nier effrontément nos engagements internationaux les plus évidents, désavouer le gouvernement de votre pays en pleine négociation diplomatique, donner tort à la France devant l’étranger. Bravo ! C’était de bonne guerre… Mais il vous était défendu de critiquer la mystique de l’équilibre budgétaire, sous peine d’être considéré comme un traître et accusé de provoquer des catastrophes. Une puissante cohorte veillait jalousement sur le respect de la sainte orthodoxie : au premier rang, se distinguaient la presse et ses chroniqueurs spécialisés, les économistes, les banquiers, les partis conservateurs. Mais, derrière ces troupes de choc, se dessinait toujours la toute-puissante inspection des Finances. Le premier résultat de cet état de choses a été la paralysie gouvernementale. »
A noter que la création de l’ENA visait à éliminer la filière des grands corps. Ils se sont vites reconstitués, et c’est sur eux que s’appuie aujourd’hui encore l’oligarchie financière pour savoir à partir d’où il faut s’arrêter d’inspecter, en pratiquant cet art avec le doigté d’honnêtes courtisans.
Du boulot pour vous, citoyens !
Le Glass-Steagall global et le précédent français :
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