Entretien
« Le franc CFA freine le développement de l’Afrique »
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/07/08/le-franc-cfa-freine-le-developpement-de-l-afrique_4675137_3212.html#Lwhhv70UuOkFR1je.99
Invité des 15es Rencontres économiques
d’Aix-en-Provence, tenues du 3 au 5 juillet, l’économiste Kako Nubukpo,
ancien ministre togolais de la prospective, revient sur l’urgence de
revoir l’arrimage à l’euro du franc CFA (Communauté financière
africaine), la monnaie des pays de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique
centrale. Seize pays dont la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Cameroun, le
Togo et le Gabon utilisent cette monnaie créée en 1945. Le franc CFA a
une parité fixe avec l’euro et les pays de la zone franc ont
l’obligation de déposer 50 % de leurs réserves de change auprès du
Trésor public français. Selon un rapport de la zone franc, la BEAC
(Banque des Etats de l’Afrique centrale) et la BCEAO (Banque centrale
des Etats de l’Afrique de l’Ouest), les deux banques centrales de la
zone franc, disposaient en 2005 de plus de 3 600 milliards de francs CFA
(environ 72 milliards d’euros) auprès du Trésor français. Pour Kako
Nubukpo, rien n’empêche les pays concernés d’en faire usage pour
accompagner leur croissance.
Si cet arrimage était une garantie de stabilité monétaire dans la zone franc et qu’en contrepartie, ces pays avaient des taux de croissance relativement faibles, on pourrait considérer que l’arbitrage fait à la création du franc CFA en 1945, confirmé à la création de l’euro en 1999, a son sens. Mais on voit bien avec le cas de la Grèce qu’une économie faible qui a une monnaie forte engendre des ajustements très difficiles à soutenir. Comment pouvons-nous avoir un discours crédible sur l’émergence si nous ne touchons pas aux outils dont nous disposons ? Il faut revoir l’arrimage fixe du franc CFA à l’euro, si nous voulons développer nos économies.
Le franc CFA est-il un frein au développement des pays africains qui l’utilisent ?
La
monnaie doit être au service de la croissance et du développement. Pour
cela, il faut des crédits. Or le ratio crédit à l’économie sur PIB dans
les pays de la zone franc est de 23 % quand il est de plus de 100 %
dans la zone euro. [Si bien qu’il] est quasiment impossible pour nos
pays de rattraper les économies émergentes si le franc CFA reste arrimé à
l’euro. Ne faut-il pas envisager des régimes de change alternatifs un
peu plus flexibles pour financer l’émergence ?Si cet arrimage était une garantie de stabilité monétaire dans la zone franc et qu’en contrepartie, ces pays avaient des taux de croissance relativement faibles, on pourrait considérer que l’arbitrage fait à la création du franc CFA en 1945, confirmé à la création de l’euro en 1999, a son sens. Mais on voit bien avec le cas de la Grèce qu’une économie faible qui a une monnaie forte engendre des ajustements très difficiles à soutenir. Comment pouvons-nous avoir un discours crédible sur l’émergence si nous ne touchons pas aux outils dont nous disposons ? Il faut revoir l’arrimage fixe du franc CFA à l’euro, si nous voulons développer nos économies.
Quelle est votre solution, sortir de la zone franc ?
Nous
pouvons au moins procéder par étapes. Il faut remettre sur la table les
objectifs des deux banques centrales d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique
centrale ainsi que leur capacité à financer la croissance économique et
évaluer la qualité de leur gestion monétaire. Qu’est-ce qui empêche
d’ouvrir ce débat ? La seconde étape consisterait à modifier le régime
de change pour aller vers un régime plus flexible avec, par exemple, un
arrimage du CFA à un panier de devises. Cela va supposer de revoir le
dispositif institutionnel. Aujourd’hui, le franc CFA via son
rattachement à l’euro est beaucoup plus déterminé par les événements au
sein de la zone euro que par la conjoncture au sein de la zone franc.
C’est une hérésie !
Mais les 16 pays de la zone franc ont-ils la capacité d’avoir une monnaie unique autre que le CFA ?
« Le
franc CFA via son rattachement à l’euro est beaucoup plus déterminé par
les événements au sein de la zone euro que par la conjoncture au sein
de la zone franc. »
Il n’est même pas nécessaire d’aller
jusque-là. Ce qu’il faut, c’est que les dirigeants africains fassent
preuve de responsabilité et ouvrent le débat sur la gestion monétaire.
C’est un exercice démocratique auquel nous devons tous participer. Les
gouverneurs de nos banques centrales doivent expliquer les fondements de
leur politique monétaire, comme le font tous les gouverneurs de banques
centrales. Je n’ai jamais entendu le gouverneur de la BCEAO ou de la
BEAC s’exprimer devant un parlement quelconque. Dans l’absolu, ce n’est
pas impossible d’avoir une monnaie qui nous soit propre, puisqu’il
s’agit d’un élément de la souveraineté nationale. Les autres pays
africains ont leur propre monnaie, cela ne pose aucun problème.
Pourquoi ce débat sur le franc CFA et sa parité fixe à l’euro est tabou ?
« On
ne peut pas en même temps revendiquer notre indépendance et attendre
que ce soit l’ancien colonisateur qui nous donne l’autorisation
d’agir. »
Les termes du débat sont parfois mal posés.
Certains en parlent en termes de panafricanisme ou de revendication
identitaire. C’est une approche contre-productive. Nous devons d’abord
définir le modèle de société que nous voulons construire. Cela
permettrait de dépassionner le sujet. A quoi cela rime-t-il de bomber le
torse en prétendant avoir une nouvelle monnaie que nous serons
incapables de gérer ? Tout n’est pas mauvais dans la situation
actuelle : la centralisation des réserves de change, par exemple, est
une forme de solidarité entre les Etats qu’il est important de
préserver.
Lire aussi : Au Cameroun, la montée d’un sentiment anti-français
La question de la souveraineté qui sous-tend ce débat est plus
que légitime. Car, il est inconcevable que 55 ans après les
indépendances, les pays de la zone franc continuent d’avoir une monnaie
physiquement fabriquée en France, d’avoir leurs réserves de change
déposées auprès du Trésor public français. Mais il ne faut pas penser
que la monnaie est l’alpha et l’oméga du processus de développement et
de croissance de l’Afrique. Il y a des questions liées à la gouvernance
et à la démocratie, à la productivité et à la compétitivité que nos pays
doivent résoudre.
La France a-t-elle intérêt à faciliter l’ouverture de ce débat ?
Mais
la France a officiellement ouvert le débat, si l’on s’en tient aux
déclarations de François Hollande, en octobre 2012, à Dakar, où il
encourageait les gouverneurs de nos banques centrales à utiliser de
façon plus active les réserves de change dont les Etats de la zone franc
disposent auprès du Trésor public français. Peut-on demander plus ? On
ne peut pas en même temps revendiquer notre indépendance et attendre que
ce soit l’ancien colonisateur qui nous donne l’autorisation d’agir.
C’est à nous de demander à utiliser de ce qui nous revient. C’est
seulement s’il y a blocage que nous pourrions faire un procès
d’intention à la France.
Pourquoi, selon vous,
les pays de la zone franc n’utilisent pas les quelque 3 600 milliards de
francs CFA (rapport de 2005) dont ils disposent auprès du Trésor public
à Paris ?
C’est ce que j’appelle la servitude volontaire.
Personne n’interdit à nos pays d’utiliser le volet excédentaire des
réserves de change pour financer la croissance. L’accord signé avec la
France en 1945, dans le cadre du fonctionnement du compte d’opérations
avec le Trésor, était qu’elle couvre l’émission monétaire des pays de la
zone franc à hauteur de 20 %. Aujourd’hui, nous la couvrons quasiment à
100 %. Cela veut dire que nous n’avons plus besoin de l’« assureur »
qu’est la France pour avoir la fixité entre le CFA et l’euro. Les
dirigeants africains doivent prendre leurs responsabilités. C’est à nous
d’assumer notre destin, ce n’est pas à la France de le faire pour nous.En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/07/08/le-franc-cfa-freine-le-developpement-de-l-afrique_4675137_3212.html#q1FX7PB16StyQ037.99
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